PAR VIRGINIE SALLÉ. Juillet 2018
Nous sommes dans une ville portuaire dans les années 50 et des fillettes disparaissent mystérieusement dans le quartier de la rue Porte-Vieille.
On se croirait dans un Simenon et pourtant, ce livre n’est pas un roman policier. Bien sûr, l’enquête est en cours et chacun y va de son avis sur l’affaire, mais l’auteur braque son regard sur d’autres personnages : deux jeunes garçons d’une douzaine d’années, Ledru et Friedman, l’intrigant Stéphane, nouveau venu au collège, sa petite sœur Nathalie, et enfin Gustave, une figure de la ville qui peint des portraits pour survivre.
L’ego, au cœur du grand mal ?
Personnage central du roman, Gustave fait penser au prince Mychkine dans L’Idiot de Dostoïevski. Doux et humble de cœur, cet artiste sans le sou représente la quête de pureté dans un monde sans cesse menacé par le mal. Il est très proche des enfants dont il aime l’innocence mais se montre terriblement lucide concernant les adultes, corrompus et atteints par le grand mal. Ce mal, il l’évoque un soir dans un café et n’épargne personne. Selon lui, il se résume en quatre mots « la négation des autres » et concerne tout autant le père qui gifle son fils, que le révolutionnaire ou l’assassin des petites filles. Le mal selon Gustave, provient d’un besoin irrésistible de ramener l’autre au rang d‘objet et de le manipuler pour satisfaire son propre égo. Les motivations varient d’un individu à l’autre mais le résultat est le même : c’est le moi qui prime envers et contre tout. Et le moi chez un pré-adolescent en construction est le siège de nombreux questionnements et s’accompagne bien souvent d’un désir d’absolu qui peut devenir mortifère s’il n’est pas maîtrisé.
Et l’on comprend alors que la tragédie est en marche et que rien ne pourra l’arrêter
Ainsi arrimés à cette implacable fatalité, nous avançons dans l’histoire, au gré des aventures de Ledru et Friedman, deux amis que tout oppose et liés par une rivalité sans borne. Dans une langue savoureuse et marquant la France de cette époque, nous suivons leurs conquêtes amoureuses mais aussi leur désir croissant de s’affranchir des bassesses de la vie adulte. Jusqu’où les conduira ce désir ? On l’ignore jusqu’à la toute fin du livre, malgré la certitude d’une issue tragique. Et quid des petites filles disparues ? L’auteur nous emmène là où on s’y attend le moins, comme si le grand mal rôdait partout et frappait sans crier gare.
Un conseil, n’ayez pas peur et laissez-vous happer par cette lecture glaçante et bouleversante de profondeur !