Gab Faure.
Par Jean-Louis Le Vallégant
21 juillet 2022
J’ai eu l’occasion d’entendre Gab Faure (1) sur scène, notamment dans le splendide Bayati, initié par le flutiste Gurvan Le Gac, combo issu des KBA (2) d’Erik Marchand. Cet omni musicien, d’entrée de jeu, m’a intrigué, et à vrai dire, sans l’avoir jamais côtoyé, je l’imaginais introverti, rivé sur le Taksim (3) comme sur son nombril, inintéressant, en quelque sorte. Jusqu’au jour où je découvre l’une des interviews qu’il mène. Au moment du confinement, Gab suit une formation sur le documentaire sonore et se rapproche de ses congénères musiciens du centre Bretagne pour réaliser des « portraits sensibles ». Je découvre alors la démarche et souhaite à mon tour rencontrer l’homme.
Nota SDS : Jean-Louis Le Vallégant rencontre Gab Faure en juin 2022, l’invite chez lui, lui pose des questions, prend des notes à l’arrache. Puis il applique la méthode des « Confidences sonores », ce projet qu’il a mené pendant plusieurs années de la Bretagne jusqu’au Vietnam, qui consistait à recueillir la parole d’habitants, puis la retranscrire, la reformuler à sa façon. La faire passer dans sa bouche à lui, dans sa langue à lui, avec ses expressions à lui, sa poésie à lui, la mâcher et la remâcher jusqu’à ce que les deux oralités se mêlent. La parole qui suit est donc le fruit de l’hybridation de deux musiciens, et celle d’une rencontre. Une vraie.
Gabriel Faure, sans accent, oui mes parents l’ont fait exprès et ont rajouté Ulysse, pour les voyages puis Mouloud, ça c’est mon père, en hommage à Mouloud Feraoun (4). Je nais à Caen en 1983. Tout le monde joue de la musique dans la famille. Pour le petit dernier, le chemin est tracé, je jouerai de la musique comme les autres, avec les autres. L’ami violoniste de mes parents, un jour dans le salon, en escale, me subjugue. J’ai 6 ans, ce sera le violon. J’emprunte le chemin de la scolarité à horaires aménagés, les classes d’orchestres composées d’élèves, l’écoute de toutes les musiques, les comédies musicales de fin d’année composées par les profs, le solfège évidemment… La voie semble tracée. « Opala, pas si simple » tempèrent mes parents, qui n’identifient pas vraiment le métier. Les débouchés apparaissent trop minces, selon eux. Alors ce sera l’IUT puis une licence informatique après un bac S. Ça tombe bien, à ce moment-là, suite à une humiliation, je claque la porte du conservatoire. J’envoie balader le classique pour l’Irlandais, Kenavo Caen, direction Nantes, retrouver mon amoureuse et continuer en licence informatique.
Au moment du départ, maman glisse dans la poche du sac à dos, façon petit pot de beurre, un recueil de partitions. De la musique irlandaise écrite. J’en extrais une Polka, que j’apprends, sans style, mais par cœur. Et elle sonne comme le jingle de mon intégration à Nantes. Au bœuf du jeudi soir j’attaque solo. Surprise : tout le bar connait « ma » valse. Surprise à nouveau : tout le bistrot chante « ma » valse. Pas attendu mais vite coopté, je suis accueilli avec une réelle bienveillance, reconnu et accepté par les autres. Cette ville me plaît.
Aux bœufs celtiques succéderont les jams de jazz manouche. Je découvre les autres, des musiciens qui vivent de ces musiques-là. Eux, d’un niveau équivalent au mien, y parviennent, je devrais également en être capable non ? Alors : Why not ! Et puis arrive ce soir de février 2000, où derrière la porte du hall de la Trocardière, « gavottent » 800 pékins. Je confirme, je me fais confiance, je vivrai de cette musique. L’argent ne guidera jamais ma décision, seule comptera mon intime conviction.
En 2007, ma participation à la Kreiz Breizh Akademi booste la professionnalisation. Ce seront d’autres rencontres, des connexions, des confrontations, de nouvelles envies, une boulimie de jeu. Toi, je veux jouer avec toi, toi aussi et toi tu joues tellement bien que… Et toi, j’aimerais jouer avec toi, toi, toi… Vers 2016, je souhaite partager les notes de Brian, celles de Brahim, aussi celles de Youssouf ou Lulu… Le boulimique de notes que je deviens s’immerge dans le quotidien de 60 autres. Des séjours au Maroc, en Écosse, au Québec, en Irlande… et à chaque rencontre, je crée, au terme d’un court séjour avec ces autres, une bulle musicale éphémère filmée (5). En toute spontanéité, sans aide, sans subvention, en suivant ma route, mon intuition, mon intime conviction.
« J’ai tendu des cordes » (5) comme écrivait Rimbaud, certes. Je me suis montré avec d’autres que j’admirais. Me montrer, comme s’il fallait se montrer et signaler aux autres. Attester une fois encore, par l’exemplarité, d’une collaboration prestigieuse, d’une respectabilité. Collectionner comme les vignettes Panini, les cooptations. Agrandir le présentoir, la vitrine des collaborations. Pour attester de ma valeur personnelle, témoigner de mon acuité créative. Était-ce encore vraiment nécessaire ? N’était-ce pas plus essentiel à présent de m’affranchir de ces jugements, certes positifs, pour m’affirmer, simplement ? Me passer à terme du visa de l’autre, de l’avis des autres, m’affirmer mature, en leader de ma propre vie ? Ne fallait-il pas enfin que je commence à m’apprécier par mon seul regard et non par le truchement d’autres yeux ?
Cette remise en question fondamentale ne s’imposait pas soudainement mais remontait à une quinzaine d’années déjà, au départ de ma sœur aînée. Cette dramatique panne de vie me propulse en recherche pour me trouver intimement. Je souhaite y accéder seul, sans autre cette fois-ci. Un camion-roulotte hébergera l’intime nomadisme. Profiter du Grand Départ de la frangine pour poser à plat ma vie. Déconstruire l’existant pour appréhender avec exigence le futur. Envisager mon être véritable, laisser parler l’intime conviction, préalable indispensable selon moi à toute construction.
Je troque, quelques temps plus tard, la roulotte et le camion contre une pancarte d’autostop avec dessus marqué : « Par là ». En stop, destination Lituanie. 70 chauffeurs plus tard, j’accuse réception de 70 réponses à la question posée à 70 conductrices / conducteurs : « Pour toi, c’est quoi l’amour ? ». Ces 70 avis m’aideront à me construire. Me construire une fois encore, par le prisme des intimes convictions de l’autre.
Au retour de ce séjour, je constate qu’un trop plein d’amour me sature. Je souhaite désormais le dégueuler comme on débouche une canalisation. Je ne trouve pas la connexion, du moins pas le juste diamètre de canalisation, celui qui autorise un gros débit. Le deuil de ma sœur me laisse exprimer mon ressenti intime, il m’amène à identifier mes attentes, et la musique me permet de déposer mon âme. L’abcès douloureux d’amour décline peu à peu et davantage encore depuis une année. Ma nouvelle compagne est, trivialement, au bon diamètre sur la grosse buse, la boulimie s’estompe. Ma structuration est là, plus solide. Mon placement au cœur de la vie, au cœur de nos vies change. Je souhaite aller encore à la rencontre de l’autre mais de manière moins autocentrée. Faire en sorte que je serve à l’autre, faire en sorte que l’autre, souvent caché derrière un instrument, puisse par mon intermédiaire se révéler intimement. Une façon de dépasser les intimités artificielles réservées aux promos de spectacles ou de disque. Le confinement et le couvre-feu attenant me permettent d’enregistrer douze portraits de musiciens du Kreiz Breizh (6). Des zicos que j’apprécie pourront ainsi librement se dire. Sans doute une manière pour nous de révéler et de conjuguer nos intimes convictions…
(1) Gabriel Fauré est un illustre compositeur des 19e et 20e siècles, auquel on doit notamment un requiem très émouvant.
(2) KBA = Kreiz Breizh Akademi, entité de musique modale à géométrie variable initiée par Erik Marchand
(3) Improvisation modale orientale
(4) Mouloud Feraoun, instituteur, écrivain Kabyle, assassiné par l’OAS à quatre jours du cessez-le-feu
(5) « J’ai tendu des cordes » : des vidéos à retrouver sur gabfaure.com
(6) Des portraits radiophoniques à retrouver sur le site de RKB, Radio Kreiz Breizh
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