Un atlas pour la rade de Lorient
Par Isabelle Nivet. 1er septembre 2022
Kizzy & la rade
Voilà Kizzy Sokombe qui sonne à la porte. Et quand elle rentre chez moi ça fait comme quand on pose un édredon de plumes sur les draps, les premières nuits d’automne. C’est tout doux, tout calme, tout léger, et très apaisant.
Ce n’est peut-être pas utile de dire ça, mais quand-même. Ce que font les gens, et comment, dépend aussi de ce qu’ils sont. Ou de ce qu’ils donnent à voir. Et Kizzy, moi, elle m’a apaisée.
Elle est là pour me raconter son projet d’Atlas de la Rade de Lorient. Elle commence à m’en parler, de la manière douce et précise avec laquelle elle collecte la parole des habitants, sous forme de cartes où elle note ce qui lui est confié, et tout de suite, je me dis – je lui dis – que plutôt que de m’expliquer, ce serait plus simple si elle me faisait ma carte à moi. Que je comprendrai plus vite, et que je raconterai mieux. Alors voilà, elle déroule de grandes feuilles de papier, du blanc, du gris, du calque, sur ma table en verre. On voit nos pieds dessous, tandis que les contours de la rade apparaissent,, lorsqu’elle me propose de choisir une carte vierge. Je prends une feuille grise.
Kizzy déverse sur la table ses feutres – des Poscas – de toutes les couleurs et toutes les tailles, qui cliquètent sur le plateau de verre. Lorsqu’elle « collecte », elle prend les notes directement sur la carte. Nous discutons de manière ouverte, facile, et de temps à autre elle me recadre gentiment en me posant des questions ciblées, comme « Quand je dis « rade de Lorient », quelle est la première image qui te vient ? ». Ce à quoi je réponds que je me rends compte de l’identité de cette zone en la voyant dessinée juste par ses contours, et que j’y vois des racines ou des rhizomes filant vers les terres : Ter, Scorff, Blavet et Petite mer de Gâvres, bras de mer parfaitement protégés par Groix. Elle le note en orange.
Lorsqu’elle me demande « Quelles sont les limites de la rade ? » je réalise qu’elle est bien plus étendue que je ne l’aurais dit de prime abord. En y réfléchissant, je la vois double : la petite rade, celle qui prend Lorient dans ses bras, et la grande, qui s’aventure jusqu’à la pointe de Gâvres et s’enfonce dans les terres par Scorff et Blavet. Alors Kizzy trace en pointillés précautionneux les limites de la petite rade en vert, et celles de la grande en rose.
La question que je trouve la plus intéressante, c’est « Comment vois-tu la rade dans dix ans, cent ans, dix mille ans ? », parce que là, on peut s’amuser, et imaginer un archipel à la Damasio, comme dans « Les Furtifs » : des habitats légers reliés par des passerelles aériennes, des ponts de singe, des tyroliennes, des fermes marines, le partage des zones naturelles avec les espèces animales revenues. Une symbiose de l’homme avec la nature, les arbres, les plantes, et l’eau. Kizzy elle dessine mes élucubrations en jaune avec des sortes de tiges qui font comme des graminées.
Je me rends compte que la rade, finalement, on passe notre temps à la franchir ou la contourner. Qu’elle conditionne nos déplacements. Qu’il y a toujours un pont ou un bateau pour nous permettre de la traverser et que souvent, nous nous perdons dans ses contours. Qu’on vit dans cette nasse bienveillante et que c’est elle qui donne son identité à Lorient, plus que la ville en elle-même. Kizzy écrit tout ça en bleu métallisé.
Kizzy c’est ki ?
Graphiste, communicante, photographe, organisatrice d’évènementiel : « Avec mon studio créatif Commlab, je réalise des parcours de mise en valeur d’espaces naturels, notamment pour le Conservatoire du littoral. J’ai créé Îlots.org pour aider les entreprises qui souhaitent s’engager pour la préservation de la biodiversité à créer des projets communs avec les gestionnaires d’espaces naturels. ». Pour le projet, Kizzy s’est formée aux techniques de cartographie.
Les cibles de Kizzy
Toi et moi. Ceux qui ont un rapport de près ou de loin avec la rade, affectif ou quotidien, économique ou artistique. « Les gens que je rencontre dans la vie, dans des manifestations, de manière aléatoire, parfois sous forme d’ateliers ». En tout une centaine d’ateliers. Et des experts. Historien·ne, guide, urbaniste… Une dizaine au total. Le collectage s’arrête fin 2022.
Les questions de Kizzy
Elles sont tellement délicieuses qu’on peut s’amuser à se les poser pour soi, pour le plaisir, et la réflexion. En voici quelques-unes…
• Où commence et où s’arrête la Rade de Lorient ?
• Les 2 rivières font-elles parties de la rade ? Et l’île de Groix ?
• Si vous regardiez la Rade de Lorient vue d’en haut, qu’est-ce-que vous diriez?
• Si vous pouviez renommer la Rade de Lorient , comment aimeriez-vous l’appeler ?
• Quelle est cette île au milieu de la rade ?
• Où allez-vous pour voir la mer ?
• Où est la mer à Lorient ?
• Connaissez-vous d’autres rades en France, dans le monde ?
• Que signifie le mot rade ?
• Si vous aviez quelque chose à dire aux habitants de la Rade de Lorient, que diriez-vous ?
• Combien de fois par jour regardez-vous le ciel ? (Notre question préférée)
• Si la Rade de Lorient avait un blason, ce serait quoi ?
L’aventure de l’atlas
Elle a commencé en 2017, s’est arrêtée puis a repris, avec des collectages dans des manifestations comme la Fête du port de Locmiquélic, Lorient Océan, ou les Aventuriers de la mer. « L’idée, à présent, c’est de faire une édition, un atlas subjectif et citoyen de la rade, en reprenant et détournant les codes des atlas encyclopédiques, avec des photos, des infographies, des notes, des mesures, mais de manière artistique et libre, avec des données sensibles, des émotions, des projections, de la mémoire et de la prospective imaginaire… ». Les données collectées sur les différentes cartes seront regroupées par thématiques et feront « émerger des représentations cartographiques, dans un mélange de réel et de documentaire, en m’autorisant par exemple à grossir les sites importants, sans respecter l’échelle… L’idée, ce n’est pas de faire un recueil émotionnel, mais de faire ressortir l’identité d’un territoire. Comprendre comment les habitants voient la rade, la vivent au quotidien, l’imaginent, la relient au monde ». En 2023, lorsque toutes les données auront été compilées et classées, une souscription sera lancée pour une sortie en 2024. Un objet en soi, avec « un travail de papier teinté à déplier et replier, avec des choses à détacher. Un objet singulier qui dise la spécificité de cet endroit d’une façon singulière ».
Un projet soutenu par Fondalor
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