Géraldine en transition. Big jet plane
Par Géraldine Berry. 12 octobre 2022
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Une rubrique soutenue par la Biocoop 7 épis
Ce n’était pas vraiment le sujet du jour. Sur le planning de la rédac’, nous avions décidé que cette semaine, nous parlerions des différents labels pour s’y retrouver en faisant ses courses. Et puis l’actualité m’a rattrapée. Vous ne trouvez pas qu’il fait un peu frais ? Que l’hiver s’annonce un peu sinistre et froid ? Que les conversations sur Sandrine Rousseau et la coupe du monde au Qatar vont vite nous lasser cette fin d’année ? Franchement, une petite escapade à Lanzarote à Noël… non ?
Le problème c’est que pour aller à Lanzarote… Voilà, on y est. On va parler avion. Je suis d’autant plus à l’aise pour en parler que c’est un sujet assez compliqué pour moi. On ne va pas se mentir, j’ai à mon sens beaucoup pris l’avion. Ça a commencé à l’adolescence, des parents qui voyagent et qui m’emmènent une fois par an à l’étranger, sur une longue distance. Je déteste en soi prendre l’avion (tendance phobique claustro) mais j’aime et je ne pense qu’à voyager ou presque, c’est ainsi. Je me suis replongée dans mes albums photos pour dresser mon bilan avion depuis que je vis seule ou en couple. Depuis 1998, j’ai réalisé en moyenne un voyage par an, plutôt sur de la moyenne distance, on va dire Sicile, Grèce, Maroc, Portugal, Corse… Avec un beau paroxysme, un long voyage en 2016 avec un billet « tour du monde » qui explose tous les compteurs. J’ai un rapport particulier au voyage, si bien que j’ai ressenti un découragement énorme le jour où j’ai réalisé que j’allais sacrément devoir lever le pied sur l’avion les prochaines années si je souhaitais participer à la sauvegarde de la planète. Mon rêve de nomade s’évapore ces derniers temps à peu près au même rythme que ma jeunesse. Ah, que ne suis-je née 30 ans plus tôt pour ne pas avoir à m’en soucier (ça marche aussi pour les hommes et le féminisme) ?
Big disgrace
Imaginez un peu, le patron d’une entreprise qui incite ses clients à ne pas consommer les produits qu’il vend. Bon, on n’en est pas là tout de même, mais presque. Le mois dernier, Augustin de Romanet, le PDG d’Aéroports de Paris tenait ces propos :
« Il va y avoir cette période de transition durant laquelle il faudra inviter les gens à être plus raisonnables dans le voyage aérien. »
Vous imaginez, si même lui le dit ? Bien sûr, pour ce monsieur, il ne faut être raisonnables que pendant la période de transition qui va servir à imaginer un transport aérien propre, d’ici 20 à 30 ans selon lui. On a de quoi voir venir. Et d’ajouter :
« Je ne veux pas qu’on me fasse le reproche de pousser à la consommation du voyage ».
Car oui, le voyage en avion est devenu comme le reste une consommation, ni plus ni moins.
Mais la consommation des riches uniquement. Allez, quelques chiffres. Prendre l’avion est en effet réservé à une élite, malgré les low-cost qui nous feraient presque croire qu’aujourd’hui tout le monde prend l’avion. Ben non. C’est comme le saumon fumé, ce n’est pas parce qu’il est en vente que tout le monde en achète.
Seuls 10 % des habitant·e·s de cette planète prendront l’avion dans leur vie, et parmi eux, 1 % produira 50 % des émissions du secteur aérien (parce qu’il le prend régulièrement, et au passage coucou les jets privés).
Des chiffres toujours ?
Un aller-retour Paris-New York, c’est 2 à 3 tonnes de CO2 par personne. Un petit voyage à Bali, paf 5 tonnes ! Pour rappel, pour rester sous la barre des 1,5 degré de réchauffement climatique préconisé par le GIEC, il faut que chacun·e limite ses émissions de CO2 individuelles à 2 tonnes maximum par an…
Donc une fois qu’on a fait notre Paris-New York, après on creuse un trou dans lequel on hiberne pendant un an.
La revue Atmospheric a publié une étude en 2020 et en voici les conclusions :
Les vols en avion, c’est 2,4 % des émissions de CO2. Si on y ajoute les rejets pour produire et acheminer le kérosène, c’est 2,9 %. Et si on ajoute l’impact de la condensation – les « contrails », ces fameuses lignes blanches laissées au passage des avions – on arrive à un total de 5,9 % du réchauffement global de la planète en 2018.
Ah bah ça va ! 5,9 % des émissions c’est pas grand-chose !
Ben pour juste 10 % de la planète tu ne trouves pas que c’est un peu beaucoup ? Heureusement qu’il y a des pauvres !
Heureusement qu’il y a des pauvres, et heureusement qu’il y a des personnes qui prennent conscience des choses, celles-là même qui ressentent la flygskam, la honte de prendre l’avion en suédois. (On a un mot en français aussi, l’avihonte, ahahah !) Et pour ceux qui auraient la tentation du smygflyga (littéralement « voler à la dérobée » qui désigne des gens qui voleraient secrètement, en espérant que personne ne le saura), attention à ne pas vous faire traquer comme les jets d’Elon Musk ou de Bernard Arnault.
Allez, un petit compte Tweeter sur le sujet (d’où est extraite notre copie d’écran)
Ou le compte Insta en français L’avion de Bernard
Ben oui mais…
Ben oui mais, l’avion c’est moins cher que le train ! Et oui, et c’est bien dommage. Mais il y a toujours des raisons. Et pas forcément les bonnes. Rappelons que les compagnies aériennes pratiquent le dumping, qui consiste à vendre en dessous du prix réel, c’est-à-dire qu’elles vendent très cher des places business aux « riches » qui permettent aux « pauvres » de payer les leurs moins cher (même quand on est riches, on est le pauvre de quelqu’un). Rappelons aussi que le kérosène des avions n’est pas taxé, contrairement à l’électricité des trains. Et rappelons enfin que les aéroports sont largement subventionnés par les collectivités locales, ce qui leur permet d’ouvrir plus de lignes aériennes, ce dont bénéficient les compagnies aériennes. Et dire que c’est le train qui est censé être un service public !
S’évader
Bon le constat est sans appel, il va falloir oublier l’avion. Evidemment, tout est fait pour nous inciter à nous évader, à vivre des expériences. Comment rendre notre présent plus désirable, afin de ne plus ressentir ce besoin d’évasion, d’extraction du quotidien, de nouveauté. Pourquoi certain·e·s d’entre nous (dont je fais partie) ont aujourd’hui du mal à concevoir une vie sans horizons lointains ? Pourquoi les riches auraient-ils plus besoin de soleil que les pauvres ?
A l’heure où je vous écris, je n’ai pas de réponse, et j’ai toujours envie d’arpenter le monde, bien que mon dernier vol date de 2019.
Et désormais, je rêve aussi d’escapades autres. Rouler sur la
prendre le train de nuit et me réveiller à Vienne, essayer une micro-aventure de
faire Paris-Nantes en char à voile, ou juste découvrir de nouvelles portions du GR34.
Un monde nouveau comme diraient les autres.
Géraldine Berry. Octobre 2022
Imparfaite, incomplète mais engagée, j’essaye de participer au jour le jour à une société plus verte, persuadée qu’une goutte d’eau dans la mer, c’est déjà ça.
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