Des animaux à la ferme
« Oh, tu t’es encore tout crotté ! » Cette phrase, un peu surannée, va peut-être revenir dans votre vocabulaire : le crottin est de retour. La traction animale fait son grand retour dans les champs bretons. Quinze ans après les premières initiatives, ce mode de culture traditionnel séduit de plus en plus d’agriculteurs. Notamment les maraîchers, qui apprécient les avantages écologiques et économiques des animaux domestiques.
Le retour du cheval de trait dans les exploitations s’inscrit dans une approche globale de l’agriculture durable. Les avantages sont nombreux : respect des sols, réduction de l’utilisation d’intrants chimiques, création d’un écosystème équilibré favorisant la biodiversité. Cette renaissance de la traction animale ne se limite pas aux chevaux : poules, moutons et dindes sont également mis à contribution dans les vergers et potagers, participant à l’entretien des cultures tout en diversifiant la production.
A Monterblanc, dans le Morbihan, Rosélène Pierrefixe et son compagnon Nicolas ont choisi une jument pour labourer les sols de leurs cultures de plein champ. D’autres animaux participent à la vie de cette « micro-ferme » : entre les serres et les cultures de plein champ, parmi d’honorables vieux arbres, des poules travaillent et alimentent le sol de leurs déjections. Et des moutons paissent sur des parcelles en jachère qui se régénèrent doucement. La famille vit de la production de la ferme : les légumes, les œufs et les quelques fruits cultivés sur 0,5 des 5 hectares de l’exploitation sont vendus sur les marchés de Saint-Avé et Plescop, à un restaurateur et à un distributeur bio. « On peut cultiver beaucoup sur de petites surfaces. C’est intéressant vu les problématiques foncières et d’urbanisation », observe Rosélène Pierrefixe.
Contrairement aux idées reçues, la traction animale peut s’avérer économiquement viable. Si la productivité est moindre qu’avec un tracteur, les agriculteurs compensent par la vente directe et des prix plus élevés. Et l’investissement initial est aussi plus faible, limitant l’endettement.
Le choix de la traction animale répond à des motivations profondes chez les paysans qui l’adoptent. Au-delà d’une simple démarche écologique, c’est souvent l’expression d’une vision engagée de l’agriculture, où la recherche d’autonomie se conjugue avec un profond respect du vivant. Cette approche traduit également une véritable passion pour les animaux de trait, qui deviennent de véritables partenaires de travail. « Mon cheval n’est pas qu’un outil, c’est un collaborateur avec qui je dois établir une relation de confiance », disent en substance les paysans qui ont fait ce choix.
Sur le plan technique, la traction animale offre des avantages significatifs qui justifient son regain d’intérêt. Le travail avec les animaux permet une plus grande précision dans les interventions culturales et préserve la structure du sol, évitant le tassement provoqué par les engins motorisés lourds. Cette méthode traditionnelle représente aussi pour beaucoup une forme de résistance à l’industrialisation de l’agriculture, permettant aux exploitants de s’affranchir de leur dépendance aux énergies fossiles et aux constructeurs de machines agricoles.
Serge Le Louarn, dans les Côtes d’Armor, est un précurseur du débardage à cheval. Je l’ai rencontré, à plusieurs reprises, dans sa ferme de Lanrivain. « On coûte forcément plus cher que la machine, mais il n’y a pas de comparaison possible avec la mécanique », confie-t-il. Acteur de la filière équine depuis 1990, il est co-créateur du réseau professionnel Débardage Cheval Environnement (DCE). « Travailler avec du vivant impose d’autres contraintes. Les chevaux sur les chantiers sont des athlètes qu’on ne peut pas arrêter et redémarrer comme des machines », avertit-il.
L’impact écologique bénéfique de la traction animale se mesure d’abord dans la préservation des sols agricoles. Contrairement aux tracteurs dont le poids peut atteindre plusieurs tonnes, les chevaux de trait exercent une pression limitée sur la terre, évitant ainsi le tassement qui étouffe la vie microbienne et perturbe les cycles naturels. Cette moindre perturbation du sol, combinée à un travail plus précis et moins profond, favorise le développement d’une flore naturelle diversifiée et le maintien d’une riche biodiversité dans les parcelles cultivées.
La traction animale s’inscrit également dans une logique de sobriété énergétique et d’agriculture circulaire. Les chevaux se « rechargent » avec l’herbe des prairies et produisent un fumier précieux pour la fertilisation des cultures. Ils permettent ainsi de réduire drastiquement la consommation de carburant fossile et d’engrais chimiques. Et créent ainsi un cercle vertueux : l’exploitation devient plus résiliente, moins dépendante des fluctuations des prix du pétrole, tout en contribuant à la lutte contre le changement climatique.
Raphaël Baldos. Décembre 2024
La rubrique « En transition » est entre les mains de Raphaël Baldos, journaliste membre de l’ONG d’enquêtes journalistiques en Bretagne splann!
Un choix fait conjointement avec la Biocoop Les 7 épis, qui parraine la rubrique, dans l’intention d’aller voir un peu plus loin.
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