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Dites-le avec des fleurs (ou pas)

Et oui, me revoilà, avec encore un truc qui ne va pas. Bon, il faut qu’on parle. Concrètement, vous êtes invité·e·s à dîner, et vous allez apporter traditionnellement à vos hôtes des chocolats, du vin et/ou des fleurs. Et c’est de cela précisément dont je veux vous causer. Un jour, promis, j’écrirai une chronique positive sur quelque chose qui va bien, sur une belle initiative, sur une bonne nouvelle, mais en attendant, il me reste des sujets à explorer.

Donc parlons peu, parlons fleurs.


La fleur coupée fait l’objet d’un véritable business.
Jusqu’ici je ne vous apprend rien je suppose, puisque tout est business. Mais le marché de la fleur coupée réunit tout ce qu’on peut imaginer de pire : une bonne grosse pollution, doublée d’un désastre humain. Oh yeah, carton plein. Prenons l’exemple de la rose, car c’est important la rose. D’après le site novethic.fr (qui croise pas mal de données issues de différentes sources), il se vendrait 22 millions de bouquets de roses par an en France. Seulement 3 % de ces roses sont cultivées en France : 1,3 % viennent de Colombie, 6,6 % du Kenya et 87 % des Pays-Bas. Ah bah, ça va, les Pays-Bas c’est l’Europe. Et oui c’est l’Europe, mais les Pays-Bas ne sont pas spécialement connus pour leur climat méditerranéen (on va y arriver tout doucement avec le réchauffement climatique peut-être), alors ces roses, elles poussent sous serre. Et ces serres sont bien évidemment chauffées et éclairées, parfois 24h/24, pilotées à distance par des systèmes informatiques qui contrôlent l’humidité de l’air, la température, la lumière, etc. Bref, c’est l’usine à CO2. Paradoxalement, bien que plus proche, cette rose néerlandaise a un plus mauvais bilan carbone que notre rose kenyane qui a voyagé en avion. 


La rose pourpre de Nairobi
Allons voir du côté du Kenya alors, pour acheter nos fameuses roses rouges. Petit problème, les conditions de travail des producteurs de fleurs en Afrique… Les journalistes d’investigation Romy van der Burgh et Linda van der Pol ont publié une enquête assez édifiante dans le média The Elephant en mars 2020 (à lire ici). Les deux journalistes dénoncent les pratiques de ces producteurs néerlandais de fleurs coupées, qui délocalisent leurs entreprises au Kenya. Non contents de ne pas payer leurs impôts sur place – et par d’astucieuses combines de même réussir à s’en exonérer – ces entreprises entretiennent une vision coloniale et paternaliste du travail : « Je te paye peu, mais je te donne du boulot et je te construis une école, je suis sympa. Et en plus je peux me faire labelliser commerce équitable. » Du vrai gagnant-perdant. Bien perdants donc, ces ouvrier·e·s qui, de plus, s’exposent toute la journée aux pesticides contenus dans nos bouquets. Selon 60 millions de consommateurs, il y aurait entre 4 et 25 pesticides par bouquet, dont certains interdits en France (interdits dans notre agriculture donc, mais pas dans nos importations florales…). Alors c’est vrai que nous ne sommes pas exposés à ces pesticides, puisque nous ne consommons pas ces fleurs, en revanche, la biodiversité et les écosystèmes locaux « prennent cher » avec la persistance des produits phytosanitaires dans l’eau et les sols. Enfin pour finir de dresser ce tableau pas rigolo, la culture de la fleur est très gourmande en eau : entre 7 et 30 litres pour un seul bouton de rose. Et cette eau, on la trouve où ? Par exemple, dans le lac Naivasha, au nord-ouest de Nairobi, là où se trouve la plus grande partie de la production de fleurs du Kenya. 2000 hectares de fleurs sont arrosés avec le lac, qui s’assèche autant qu’il se pollue, tout ça pour qu’on s’offre des roses à la Saint-Valentin, au nom d’une tradition qu’on n’aime même pas.

Ne pas dire au revoir aux fleurs
Il y a peu de temps, je vais au marché avec une irrésistible envie d’un beau bouquet de fleurs. Je demande au fleuriste ce qu’il a à me proposer de sympa, et il me montre une botte d’oeillets sous plastique, aussi sexy qu’un nuggets de chez KFC. Il a du voir que ce n’était pas exactement ce que je cherchais parce qu’il a sorti du fin fond de son étal un magnifique bouquet « de fleurs locales, de saison, cueillies de ce matin ». Ah donc, cela existe. Il suffisait de faire une moue boudeuse. Qui a un bout de jardin, qui a déjà juste un peu observé la nature, sait bien qu’il existe une saisonnalité pour les fruits, les légumes, et pour… les fleurs. La rose toute l’année n’a pas plus de logique que la tomate en décembre.
En janvier 2017, Hélène Taquet, floricultrice (et tac, un nouveau mot) et Sixtine Dubly, journaliste et autrice, créent le collectif de la Fleur Française, qui a pour but de soutenir la culture de fleurs françaises locales et de saison. Leur site est vraiment bien fait. A la fois, une partie « Fleurs de saison » qui permet de trouver les fleurs qui poussent chez nous en ce moment. Novembre en Bretagne : anémones, renoncules, pavot, narcisse, iris… Y a quand même de quoi se faire un bien beau bouquet. Mais je les trouve où ces fleurs de saison ? On ne saurait que trop vous dire qu’il vaut mieux éviter les supermarchés… ou les grosses enseignes. Sur le site, vous trouverez aussi une partie annuaire qui permet de localiser ces fleuristes, horticulteurs et même grossistes engagés. Il existe aussi le label Fleurs de France qui garantit l’origine française des végétaux, mais aussi depuis 2017 une démarche éco-responsable ou de qualité reconnue (via des labels) des producteurs. Bon il peut y avoir de tout dans les labels (à lire ici), alors encore une fois il faut ouvrir grand ses yeux de consommateur. (A titre personnel, je vais plus sur le bio que sur le Label Rouge.)

Que peut-on faire aussi ? Simplement interroger son fleuriste
« Bonjour, elles viennent d’où, vos fleurs ? » Lui dans sa tête : « Oh purée, encore la relou avec ses bocaux et ses sacs en tissus. » Relou un jour, relou toujours.
J’entends déjà certain·e·s d’entre vous : « Mais ça coûte super cher, les fleurs locales ! Je n’ai pas les moyens.» C’est vrai. Malheureusement, nous n’avons pas, pour la plupart de nous, les moyens de nos envies. Alors, il nous faut sans cesse choisir, arbitrer, renoncer.  Quand je suis en crise de doute face à un achat, je me rappelle toujours que si ce n’est pas cher, c’est que quelqu’un paye pour moi quelque part. Ce n’est pas cher, mais ça pollue, ça sacrifie de l’humain, et ce n’est pas qualitatif ? Quel intérêt de l’acheter hormis celui de satisfaire une pulsion d’achat qui sera bien vite effacée par une autre ? Alors, si je n’ai pas les moyens d’acheter, je passe mon chemin. Ou je réduis et je sacrifie la récurrence à la qualité. Ce bouquet, cher certes, mais local, bio, qui a soutenu un·e petit·e producteur·rice, vous ne vous en lasserez pas rapidement. D’ailleurs, il pourrait même tenir un peu plus longtemps que les autres, tout fraîchement cueilli qu’il est (contre 10 jours avant pour les fleurs qui viennent en avion).  C’est sûrement ça le pouvoir des belles fleurs. 

Géraldine Berry. Novembre 2021

IG @geraldineberry_lorient
Imparfaite, incomplète mais engagée, j’essaye de participer au jour le jour à une société plus verte, persuadée qu’une goutte d’eau dans la mer, c’est déjà ça.

 

Quelques chiffres donnés par le site internet Fleurs d’ici

  • 9 fleurs sur 10 consommées en France sont importées de l’étranger
  • 1 bouquet de 25 roses importées = l’équivalent CO2 d’un trajet Paris-Londres en avion
  • En France, 9 exploitations horticoles sur 10 ont disparu en l’espace de 50 ans
  • Au Kenya, les salaires dans les serres de roses se situent autour de 100$ par mois
  • On trouve jusqu’à 25 substances chimiques interdites en Europe dans un bouquet de fleurs importées

 

Parce que la coopérative Biocoop Les 7 épis est une entreprise engagée et militante, elle finance cette chronique et nous permet d’offrir une rubrique orientée solutions, dans l’objectif de donner des clefs pour agir… 

 

 

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