Ernest Guérin. L’art de l’enluminure
Par Isabelle Nivet. Juin 2024
C’est une exposition inattendue que propose le Musée du Faouët, dans tous les sens du terme. D’abord parce que le lieu était supposé fermer pour rénovation à cette période, et que les travaux ont été décalés. Ensuite, et surtout, parce qu’Ernest Guérin, l’artiste que le musée a choisi de mettre en lumière, a été oublié, et on a envie de dire à tort, car l’exposition-rétrospective qui lui est consacrée nous fait ouvrir grand les yeux par l’originalité, la créativité et la maîtrise des 150 œuvres présentées.
Nous avons fait la visite en près de deux heures en compagnie d’Anne Le Roux-Le Pimpec, directrice du musée, allant de surprise en emballements. Car l’intérêt des œuvres d’Ernest Guérin va bien au-delà de la virtuosité des enluminures qu’on découvre dès l’entrée. Dans pratiquement chaque toile, chaque miniature, une recherche, un mouvement, des couleurs, des courants de l’histoire de l’art viennent se nicher et nous emporter ailleurs, au-delà des évidences.
La virtuosité dans l’enluminure
Ces évidences, ce sont d’abord les enluminures, que le musée a choisi de faire découvrir au visiteur à l’aide de loupes, qui permettent de percevoir les minuscules détails que l’artiste a semé : des motifs, des fleurs, des feuilles, des scènes au lointain, des expressions sur des visages pas plus gros qu’une lentille, des lettrines ornementées, des plissés fantastiques dans les tissus, des transparences diaphanes dans les voiles… Voilà le premier ressenti. Maîtrise, virtuosité, précision d’un pinceau qui représente des vêtements ou des paysages avec une exhaustivité affolante. Guérin avait une passion pour l’époque médiévale, il en a vendu beaucoup, et tant mieux, parce que la vente de ses tableaux lui a permis de vivre de son art, et de produire beaucoup. Parmi les œuvres présentées, issues du fonds d’un collectionneur, ces enluminures sont pour la plupart réalisées sur vélin [de la peau de veau mort-né], ce qui leur donne cette exceptionnelle lumière et densité de la couleur.
Des paysages merveilleux
Lorsque l’on regarde attentivement ces scènes où rois et reines, chevaliers et dames, s’inscrivent dans le paysage ou l’architecture, on comprend très vite que le travail de Guérin est tout sauf une copie des enluminures du XVe siècle, même si l’on y retrouve tous les fondamentaux. Pourquoi ? Et bien parce que Guérin est d’abord, de notre point de vue, un illustrateur. Et que son dessin n’est pas académique ni poussé dans une norme par des contraintes dogmatiques. Son dessin renvoie aux livres de contes, au merveilleux, aux légendes, au cinéma, même ! Ses décors, ses paysages, sont des œuvres à part entière, d’une grande beauté, avec la présence d’arbres singuliers, de très longs troncs, fins, ornés d’un toupet de quelques feuilles, entre les espèces toscanes, la flore du Japon, les arbres magiques et les pins de Bretagne. Un univers qui frise le fantastique – mais oui ! – malgré les châteaux-forts, les chaumières et les villages. Un univers de scénographe, dans lequel il insère des personnages au premier plan, comme un portraitiste de grand talent, en leur donnant des expressions originales et individualisées.
Comme une traversée de l’histoire de l’art
Même richesse dans ses paysages maritimes, que ce soit dans ses toiles ou ses miniatures bretonnes, même foisonnement, même mix and match dans les décors, même subtile étrangeté, et même forte présence de la nature, avec un travail de la couleur extraordinaire : des bleus surréels, des rouges qui pètent sur les rubans et les tabliers qui volent au vent, des ciels qui n’ont rien à envier à ceux de Boudin. Le paysage est toujours beau, très ample, toujours traité différemment, et les techniques comme les influences s’y entremêlent. Dans chaque œuvre de Guérin il y a un peu d’impressionnisme à la Turner ou Monet, un peu du doux flouté du préraphaélisme à la William Morris, un peu de symbolisme à la Edgard Maxence, un peu d’influences de la Renaissance à la Piero della Francesca, un peu de réminiscences japonisantes à la Hokusai, un peu de Romantisme à la Chateaubriand, quelques traces du précubisme de Cézanne, une pointe d’art déco, un soupçon de Seiz Breur, mais aussi des expérimentations qui font de Guérin un peintre singulier, en perpétuelle recherche picturale, une recherche qui reproduit les éléments, ciels, landes, vent, pour nous les donner à voir de plein fouet, comme un choc visuel.
> Jusqu’au 6 octobre 2024, Musée du Faouët
Guérin en trois mots [1887-1952]
Né à Rennes, il y a fait les Beaux-arts en dessin, peinture et architecture.
Il a eu une galerie à Quiberon et Dinard
Il a travaillé avec Théodore Botrel et a été ami avec Anatole Le Braz
Il avait une passion pour l’époque médiévale, la Bretagne et les légendes arthuriennes
Il a peint à l’aquarelle ou à la gouache, cernant parfois les contours à la mine de plomb.
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