Alice Neel & Princess Thailand. Rock & Painting #7
"Rock & Painting, c’est une série née sur Facebook en octobre 2019 dans laquelle j’associe chaque jour une toile et un morceau de rock. Dans laquelle j’associe mon amour de la peinture et du rock".
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Aujourd’hui, je vous parle d’Alice Neel, une femme peintre américaine qui m’a d’abord impressionnée par sa série de portraits au cœur de son travail et de son œuvre mais aussi par le parcours courageux et incorruptible qu’elle s’est tracé à bout de bras à travers le XXe siècle.
Alice Neel est née en 1900 dans une famille de petite bourgeoisie conservatrice de Pennsylvanie où les filles ne sont en rien encouragées à choisir leur voie. Pourtant, elle choisit très vite la voie des arts et de la peinture en dépit des difficultés à s’y faire une place. Dès ses premiers pas dans une très chic école d’art, exclusivement réservée aux femmes, elle prend le contre-pied des mouvements artistiques en vogue. Et ce n’est qu’un début. En rien impressionnable ni influençable, elle développe dès les années 20 un style bien à elle et se moque des modes et courants de l’époque à commencer par l’impressionnisme. Elle n’a pas 25 ans et déjà, elle privilégie le portrait réaliste, presque expressionniste, qu’elle ne cessera, contre vents et marées, d’explorer pendant 60 ans de carrière.
Oui, ses toiles sont assez crues. Se faire tracer le portrait par Alice Neel n’est pas forcément pour les Narcisse. D’abord dans la forme où les traits sont durcis et les proportions déformées. On est dans un réalisme exacerbé à l’image d’un Egon Schiele ou d’un Lucian Freud. Elle a d’ailleurs, pour moi, beaucoup de points communs avec Freud dont une nudité assez crue et frontale qui est une des grandes lignes de son travail. Elle fait même un autoportrait d’elle nue à 80 ans, signe d’un féminisme pour lequel elle lutte toute sa vie. Parce que le fil rouge de son boulot, outre les portraits, c’est en toile de fond la lutte des classes et la lutte des sexes.
Mariée une seule fois avec un peintre cubain dans les années 20, elle perd un enfant et le second lui est retiré par son mari. S’en suit un épisode de dépression et une vie matérielle modeste ponctuée de rencontres sentimentales par toujours très heureuses, voire conflictuelles. Il faudra attendre les années 60 pour qu’elle commence à vivre dans un certain confort qui va de pair avec une renommée grandissante mais toujours très marquée par les luttes politiques et un féminisme exacerbé.
Elle disait : « Je ne peins pas comme une femme est supposée peindre. Dieu merci, l’art ne s’embarrasse pas de ce genre de chose ».
Pour cette chronique, le choix d’une oeuvre n‘a pas été simple tant son univers regorge de fabuleux portraits. Alice Neel a peint des centaines de gens, sa famille, ses voisins, les gens de la rue, ses amis, quelques figures et célébrités des années 60/70 dont Andy Warhol est le plus célèbre. Mais elle a aussi beaucoup peint les enfants et c’est sans doute ce qui m’a plu. On voit une petite fille autour de 10 ans, difficile de savoir, affalée dans un fauteuil, une attitude qu’on retrouve dans plusieurs toiles. On est en 1977. Derrière le fauteuil violet sur un sol orange, très seventies, un caoutchouc, cette plante d’intérieur bien grasse très en vogue à l’époque. Le regard est rêveur mais la moue volontaire. Peut-être à l’image de l’artiste. Et à regard volontaire, titre volontaire avec le choix d’Alex Thagis pour un titre affranchi à l’image du regard de cette enfant. Le groupe c’est Princess Thailand, cinq Toulousains menés au chant par Aniela Bastide, ce qui boucle le trio de cette chronique, peintre-sujet-chanteuse, Alice-Olivia-Aniela, trio féminin puissant et moderne. Le titre c’est « I can see », je vois, je peux voir, je sais voir, morceau rock radical et indompté. Le regard, l’audace, la liberté. Tout y est.
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Chronique diffusée dans La Confidienne de Radio Balises le 8 mai 2020. https://radiobalises.com/
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