Flo Jaouen. « Qu’est-ce qu’on attend »
Par Isabelle Nivet. 11 mai 2023
.
« J’ai des visions de scènes, comme quand je jouais, enfant : elle ferait-ci, il ferait-ça ; je me raconte des histoires, j’invente des scènes ».
Flo Jaouen se fait un cinéma d’une seule image, immobile, et la met en scène dans sa tête, avant de se lancer. Le fond y est toujours minimaliste, un aplat de couleur dense, Miami style : rose cupcake ou bleu Cadillac. Le décor y est celui d’une pièce contemporaine : une ou deux chaises, un canap’, une banquette, un fauteuil. Un minimum de contextualisation pour un maximum d’effet prend-ça dans ta face.
« Je cherche, je cherche, sur internet, et je choisis : c’est ça que je veux ! Les meubles comme les personnages. Je fais des scènes minimalistes pour mettre le paquet sur les personnages, comme au théâtre… ».
Les modèles de ces histoires, et de ces toiles, elle les trouve dans des banques d’images sur internet : « Je cherche des images collant avec ma vision de leurs attitudes, leurs expressions, leurs vêtements, qui m’intéressent plastiquement. Quand j’ai trouvé les personnages, je les retravaille sur un logiciel de dessin et je vois si la composition matche, comme si je dirigeais des comédiens. Je vérifie si ça a l’air vrai ou pas. Quand la scène et les lumières sont ok, je trace à grands traits de fusain et je dessine à la peinture acrylique. Je travaille la peinture avec beaucoup de couches pour monter en puissance, et je la « tire » pour trouver la matité.Toutes les toiles exposées font 1 mètre de haut, pour que les personnages soient presque à l’échelle 1, pour que ça percute ».
Et ça percute ! Réaliste, mate, précise, la patte de Flo Jaouen créée des histoires aussi puissantes sur le fond que sur la forme. Non seulement les scènes nous questionnent, mais en plus, elles nous séduisent graphiquement, plastiquement, par leurs couleurs et l’incongruité des situations. Pas la peine d’en faire des caisses pour décrypter son propos, qui cela dit, peut tout de même se lire de plusieurs manières.
On a demandé à Flo Jaouen de nous faire le pitch des histoires qu’elle s’est racontée avant de les peindre. Neuf toiles, neuf histoires…
« Un petit garçon dans une décharge, les pieds nus, avec un casque et des lunettes d’aviateur. Il veut en découdre, se battre contre la surconsommation de voitures, dont on ne sait pas quoi faire. Mes « enfants » sont dans l’action, toujours. Quand je peins un sujet, je suis le sujet. Il n’y a pas de jugement. »
« Un gars qui va bosser, il mange une tartine de pain de mie avant de prendre le bus. Le gamin est cool, il est assis dans un fauteuil devant un tag « no sitting zone », il ne s’en préoccupe pas, il brave les interdits. Mes préoccupations portent sur la société, dont les enfants symbolisent l’évolution »
« Un gamin qui porte un déguisement de docteur, qui m’intéressait avec les plis, le masque, la charlotte, les effets de matière. Les enfants n’attendent pas pour faire, alors que les adultes sont souvent en attente de quelque chose, submergés par le quotidien, le boulot, et les échéances planétaires… »
« Un bourgeois qui prend son petit déjeuner, sort la poubelle en peignoir, les yeux encore fermés. Il baille, il n’a rien vu de la gamine qui est depuis longtemps en action sur la peinture du mot « futur ». Elle, elle travaille son futur. Sur le trottoir, il y a une télé, symbole du 20e siècle. »
« Une nana dans un fauteuil, très apprêtée, maquillée, peignée, les ongles vernis, et une gamine qui a envie de jouer. Elle, elle n’a pas envie, elle se sent femme plutôt que maman, elle est dans une humeur de séduction. »
« Une mamie, non jugeante, pensive, sereine, et deux gamins avec des lunettes noires, genre protecteurs de leur grand-mère, dans une salle d’attente. Je trouve dommage que les jeunes ne soient pas plus proches des vieux… »
« Une ado et un adulte, qui pense à son boulot, encore dans une salle d’attente. Elle nous regarde et nous questionne. Elle s’ennuie, elle a envie de passer à autre chose. »
« Un adulte sur un canapé. Il a un métier manuel, il est crevé de sa journée de boulot, il se pose devant la télé – on le devine avec la lumière bleue sur lui – et il s’endort. Pour moi, le gamin dit « C’est quoi ça ? Non mais je rêve ! Faut se bouger…». Son père ne s’occupe pas de lui. »
« Une fillette et un homme couché. Il est arrivé du boulot en costume, il s’est écroulé, il dort profondément. La gamine a mis les chaussures de son père, elle a joué aux billes et elle a gagné la partie. Pour elle, j’ai cherché un modèle qui ressemble à Fifi Brindacier. Je cherchais une héroïne qui aide à grandir… »
FLO JAOUEN, C’EST QUI ?
Une nouvelle venue dans le paysage morbihannais, elle est arrivée en 2020 à Grand Champ. Diplômée des Beaux-arts de Paris, elle a été infographiste et se consacre désormais à plein temps à la peinture. Repérée au salon Pulsar, au Mans, l’an dernier, par Françoise Monnin, rédactrice en chef du magazine Artension, elle figure au sommaire du numéro de mai, consacré au réalisme.
PARTAGEZ [addthis tool= »addthis_inline_share_toolbox_k6fc »]
POUR ALLER PLUS LOIN DANS CETTE THÉMATIQUE