Par Frédérique Hily Malandain. Mai 2018
Parfois on se laisse aller à la rêverie. Des promenades sans chemin tracé, sans objectif. Juste une disponibilité, une perméabilité aux méandres de possibles. Un détachement des choses connues, convenues, souhaitables et organisées. A chaque croisement, notre esprit prend une option, s’engage au hasard d’une pensée qui en appelle une autre et ainsi de suite. A l’issue de cette déambulation, un labyrinthe de sensations, d’émotions et de perceptions indescriptibles, mais qui fait du bien. Car on est parti loin. Nous nous sommes éloignés de nos repères, déconnectés d’une réalité pour circuler de façon éphémère dans un inconnu exaltant. C’était intense et ressourçant. Face à l’œuvre de Gilgian Gelzer, c’est un peu pareil. On essaie de suivre un fil. De circonvolutions en arabesques, nœuds et tressautements, on le perd. Alors, étourdi par le lacis du dessin, on flâne, on s’égare, on tangue. Une prise de recul pourrait nous
rétablir, nous ramener à ce que nous sommes. Mais non. Un pas en arrière et le dessin exprime toute sa dimension intrinsèque et tentaculaire.
Les formats présentés par l’artiste sont variés, de la taille d’une carte de visite à celle d’une porte-fenêtre. Et de chacun, se dégage la puissance du trait. Paisible, enchevêtré, bouillonnant, acharné, coloré parfois. La ligne s’anime, circule, s’appesantit, évolue comme mue de sa propre énergie. Prête à sortir du papier, à traverser les murs, à se connecter aux autres salles. Peut-être jusqu’à se ramifier à l’environnement extérieur, au branchage des arbres et à l’architecture du parc. Elle nous emmène au-delà de notre position. Seules les limites physiques de l’artiste ont pu contenir cette expansion frénétique. Gilgian Gelzer se laisse envahir par ce courant, accepte de s’effacer un temps pour accueillir l’impact. Don de soi, abandon à une réalité imposée, improvisée, peu à peu apprivoisée. Intensité des petits dessins concentrés et envergure obsédante, inlassable, des entrelacs à grande échelle. L’homme et l’art entrent en synergie tel un fascia d’où émerge de façon incidente et aléatoire, inutile, un signe figuratif. Neige noire ? Esquisse d’un profil ? Avec l’artiste, nous sommes reliés à cette cohérente et remarquable matrice, on ne peut s’en extraire.
Quelque chose a bougé en nous
Pas plus d’échappatoire dans les travaux de photographie ou de peinture. Moins nombreux, ils nous entraînent eux aussi aux frontières inexplorées. La photographie, dévolue selon l’auteur à un rôle secondaire, en filigrane de ses autres activités, traque les lignes dans le paysage. Verticales ondulantes, flaques, horizontales rectilignes, parallèles ou convergentes, formes juxtaposées ou isolées à l’état naturel, ignorantes de leur existence graphique. Focus exquis pour qui sait regarder. Par la peinture, encore, les limites se dilatent. Cohabitation joyeuse ou non, en conversation toujours, des teintes appliquées par l’artiste articulent l’espace de la toile. Comme contenues in utéro, embryonnaires, elles jaillissent, éclatent à la surface, nous hissent en troisième dimension, nous happent dans la profondeur. Un travail datant de dix ans que Gilgian Gelzer a délaissé au profit d’une recherche du trait plus épuré. Suite à cette rencontre artistique, quelque chose a bougé en nous, autour nous. Nous, captifs éveillés, libres et désormais rattachés. L’espace a dû s’agrandir.