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Ikejime : la technique japonaise d’abattage du poisson restera pour les happy few

 

L’Ikejime est une technique traditionnelle japonaise d’abattage du poisson qui permet de préserver la qualité de la chair et d’améliorer la durée de conservation. Pratiquée depuis quelques années en Bretagne, cette méthode réclame une pêche spécifique, du temps et des équipements qui la rendent coûteuse. Autrement dit, le poisson Ikejime ne risque pas de se montrer dans votre assiette quotidienne.

Origines et principes de l’Ikejime

Le mot « Ikejime » (活け締め) signifie littéralement « vivant » (ike) et « fermer » (jime), reflétant le processus de mise à mort rapide et respectueuse du poisson. Cette méthode a été développée il y a plusieurs siècles par les pêcheurs japonais pour assurer que le poisson atteint le marché avec la meilleure qualité possible.
L’objectif principal de l’Ikejime est de minimiser le stress et les souffrances du poisson, ce qui réduit la libération de substances chimiques indésirables, comme l’acide lactique, dans la chair. Cela permet de préserver la texture et la saveur du poisson, mais aussi de prolonger sa durée de conservation.

Et surtout cela lui donne un goût incomparable, grâce à la transformation de l’adénosine triphosphate (ATP), en un nucléotide, appelé inosinate. « L’ATP est l’énergie qui permet les réactions musculaires du poisson, elle est contenue dans le muscle, elle se renouvelle tout au long de la vie, de façon autonome et systématique », explique Stéphanie Woods, dirigeante de France Ikejime, petite entreprise finistérienne spécialisée en mareyage Ikejime.

Plus le poisson est en forme, plus il contient d’ATP. A l’inverse, moins il est en forme, moins il en contient. Et plus il y a de l’inosinate, plus il a bon goût. Pour obtenir un excellent poisson, on cherchera donc à travailler sur un poisson le plus en forme possible, reposé, déstressé.

« Les pêcheurs avec qui l’on travaille se sont formés pour savoir conserver du poisson vivant. Ils ne sont qu’une dizaine en Finistère sud. Ils pratiquent cette pêche en parallèle de leur activité de ligne classique », indique Stéphanie Woods.

Les pêcheurs ont aussi appris à percer la vessie natatoire de certains poissons, comme la baudroie ou le bar. La vessie natatoire, c’est un organe qui sert de « ballast » afin de faciliter l’équilibre et le déplacement du poisson dans la colonne d’eau. Lorsque le poisson est pêché, il remonte brutalement vers la surface. L’air qui était contenu dans la vessie natatoire se dilate, et en surface forme comme un ballon dans l’abdomen du poisson, qui comprime ses organes. « ll faut donc percer cette vessie natatoire pour soulager le poisson et supprimer cette pression interne », précise Stéphanie Woods.

L’Ikejime est bien plus qu’une simple technique d’abattage du poisson. C’est un art qui reflète le profond respect des Japonais pour la nature et les ressources marines. En adoptant cette méthode, les pêcheurs et les cuisiniers du monde entier peuvent non seulement améliorer la qualité de leurs produits, mais aussi honorer le poisson de la manière la plus respectueuse possible.

L’abattage Ikejime

La technique Ikejime peut être divisée en plusieurs étapes clés :

 

  1. Après un passage en bassin pour être déstressé, le poisson est tué à l’aide d’une pointe aiguisée, que l’on insère rapidement à la base de la tête du poisson, dans le cerveau. Cette action détruit instantanément le cerveau, causant une mort rapide et évitant les spasmes musculaires qui pourraient détériorer la chair.

 

  1. Immédiatement après la destruction du cerveau, les artères principales situées près des branchies sont coupées. Cette étape permet d’exsanguer le poisson rapidement, ce qui aide à maintenir la couleur et la qualité de la chair.

 

  1. Une fine tige de métal est insérée dans le canal neural du poisson, du cerveau à la queue. Cette étape, appelée « shinkei-jime », a pour but de détruire la moelle épinière et d’empêcher toute activité nerveuse résiduelle, ce qui réduit encore les spasmes musculaires et la dégradation de la chair.

 

  1. Enfin, le poisson est soigneusement rincé à l’eau douce pour éliminer le sang restant. Il est ensuite stocké sur de la glace pour refroidir rapidement la chair et inhiber la croissance bactérienne.

 

La criée de Quiberon équipée pour l’Ikejime

La criée de Quiberon s’est équipée de plusieurs bassins il y a quelques années afin de pouvoir proposer à certains poissonniers et restaurants gastronomiques des poissons abattus selon la technique Ikejime. Mais avec le Covid, tout s’est arrêté. « On a mis un terme à l’Ikejime à cause de la pandémie et de la fermeture des restaurants haut de gamme, explique Jean-Marc Lizé, directeur de la criée de Quiberon. Là, on est en train de relancer cette filière depuis trois ans. Les quantités restent limitées par rapport à celles de 2018 où nous avions atteint 7 tonnes. En 2022, nous avons traité 636 kilos. »

Cinq à six pêcheurs de Quiberon se sont formés à cette technique. La filière Ikejime se concentre sur des poissons comme le bar, la dorade, la baudroie, le turbot, et la barbue, qui se conservent bien vivants. Les produits finaux sont destinés principalement aux grandes tables et sont peu connus du grand public.

« Le goût est incomparable, cela n’a rien à voir avec du poisson classique, observe Jean-Marc Lizé. Les chairs sont bien particulières, d’un blanc extrêmement nacré. C’est un poisson qui restera pour des bonnes tables. Il pourrait devenir un des plats d’exception pour un Noël ou un jour de l’an. »

Vous l’avez compris, bien que la technique Ikejime soit prisée pour la qualité gustative et la texture supérieure des poissons, elle reste donc limitée en volume et coûteuse. La démocratisation de l’Ikejime, ce n’est donc pas pour demain.

Ikejime.
La technique japonaise d’abattage du poisson restera pour les happy few
Par Raphaël Baldos. 13/06/24

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Raphaël Baldos. Juin 2024

La rubrique « En transition » est entre les mains de  Raphaël Baldos, journaliste membre de l’ONG d’enquêtes journalistiques en Bretagne splann!

Un choix fait conjointement avec la Biocoop Les 7 épis, qui parraine la rubrique, dans l’intention d’aller voir un peu plus loin.

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