Epargner la terre (avec La courte échelle)
Tu m’aides à lancer ma ferme ? Dans le pays de Lorient, on peut placer ses sous dans l’acquisition de terres agricoles. La Courte échelle, une société civile immobilière, collecte l’épargne citoyenne pour financer l’installation de paysans bio et locaux.
Climatisée
A ras les talus. A ras les haies. Les champs s’étendent à perte de vue. Prennent des allures de Beauce. Des engins gigantesques labourent, sèment, désherbent, épandent lisiers, pesticides et fongicides, sur des terres de plus en plus grandes. Certaines exploitations dépassent le millier d’hectares en Bretagne. Dans la cabine climatisée de leur tracteur, les agriculteurs se sentent de plus en plus seuls. Selon le dernier recensement agricole, en 2020, ils étaient 36400. 10000 de moins qu’en 2010. Ou 1000 en moins chaque année. Les communes ne sont pas en reste. Elles bétonnent à gogo : en 2021, 2000 hectares de terres agricoles ont été artificialisées pour construire de sinistres lotissements. Alexis Gourvennec l’avait dit, dès 1976 : « Nous devons abandonner à leur sort les “minables” qui ne nous intéressent pas. C’est à ce prix, et à ce prix seulement, que nous gagnerons la bataille de la production. » Et pour bien faire passer le message, il ajoutait que « la profession (…) ne peut se permettre de traîner des boulets ». Il visait alors, rappelle le journaliste Nicolas Legendre dans son livre « Silence dans les champs », les petits paysans qui ne voulaient pas sauter dans le train du progrès.
« Minables »
Pas de bol pour l’agro-industrie : les « minables » sont toujours là. Ils cultivent des parcelles plus petites. Produisent des denrées de qualité, souvent en bio, vendues en circuit court. Chez eux, les talus reprennent des couleurs. Abritent une foisonnante biodiversité. Et vous savez quoi ? Ces paysans vivent bien. Souvent mieux que ceux qui sont pieds et poings liés à leur banque pour financer des matériels toujours plus sophistiqués. Dans le pays de Lorient, des citoyens investisseurs se sont pris d’affection pour ces « boulets ». Plutôt que de mettre leur épargne dans des actions de multinationales destructrices du vivant, ils investissent dans la terre pour aider des paysans à s’installer. 355 personnes ont souscrit des parts de la société civile immobilière (SCI) La Courte échelle. Ils mettent leur argent au service d’une agriculture qui nourrit sans détruire la planète. Du bio. Du local.
Neo-ruraux
A la Ferme du Resto, à Ploemeur (56), sept paysans, pour la plupart néo-ruraux, ont bénéficié de ce coup de pouce financier. Ils produisent en bio du lin, des lentilles, du sarrasin, des artichauts, des petits fruits, du blé, confectionnent du pain. « L’idée, c’est d’offrir une alimentation équilibrée et variée, avec des fibres, des protéines végétales, explique Thierry Le Floc’h, l’un des sept « boulets ». Sans La Courte échelle, propriétaire de la trentaine d’hectares et du bâtiment, on n’aurait pas pu faire ce projet ». La Courte échelle leur loue les terres à petit prix. Et finance l’achat de certains outils. Les investisseurs citoyens ne sont pas loin : ils participent aux travaux de la ferme. Il y a quelques jours, ils récoltaient des fraises, jaillies par milliers après l’orage. Lundi, des volontaires arrachaient l’oseille qui envahissait les parcelles de lentilles. Logique, pour des investisseurs.
Lumière
« On s’émancipe des banques et on créé du lien, s’enthousiasme Thierry. Les épargnants, ce sont aussi des consommateurs associés de la ferme. Ils sont chez eux. La dynamique collective créé un cercle vertueux. On met de la lumière partout ».
Le ticket d’entrée est à 100€ la part. Si vous êtes fortuné, vous pouvez en prendre autant que vous voulez. Vos sous ne feront pas des petits, mais les statuts de La Courte échelle vous garantissent de les retrouver intacts après cinq ans. Et entretemps, ils auront aidé des paysans à s’installer. Plusieurs projets sont en cours à Kervignac, Guidel et Lanester. Une bonne manière d’épargner la Terre.
Raphaël Baldos. 22 juin 2023
Sorties de secours et la Biocoop continuent leur partenariat avec l’objectif de parler environnement et solutions pour une planète qui prend son futur en main. Raphaël Baldos, journaliste spécialisé en environnement et développement durable – et membre du collectif de journalistes d’investigations splann! – s’installe dans nos colonnes avec un angle journalisme de solution.
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