ISABELLE NIVET, FÉVRIER 2020
L’idée : le public – les témoins silencieux – entoure une table à laquelle est assise une dizaine de participants, qui ont une heure pour décider unanimement de l’emploi d’une somme d’argent posée sur la table.
Alors même si l’expérience est fascinante, la réticence que l’on avait au début s’est avérée justifiée. « The Money » actionne des leviers qui sont semblables à ceux de la télé réalité : voyeurisme, critique, jugement, moquerie. On regarde et on écoute dix personnes pédaler dans la semoule et se révéler incapables d’arriver à un vrai projet commun. On regarde les différentes personnalités, ceux qui sont en retrait, les petits marrants, les revêches, les calmes, les malins. On voit comment les dérisoires petites tentatives de prise de pouvoir échouent, comment personne ne sait défendre un projet correctement, comment certains tentent de contourner les règles…
On pourra nous rétorquer que l’on peut choisir de regarder les choses sous leur côté positif, la dynamique de groupe, l’intelligence collective, blablabla, mais dans tous les cas, faire un spectacle de ce que sont et font les gens, placés dans un contexte particulier, n’est pas quelque chose qui nous plait, et pourtant, mater les gens aux terrasses de café, on adore ça…
Oui les participants sont volontaires, et non, ils ne se rendent pas compte de la manière dont ils sont scrutés : chaque geste, chaque moue est étudiée, et critiquée ; pris par le jeu, ils ne s’en rendent plus compte. À moins qu’ils ne jouent (parmi l’équipe en lice samedi, certains faisaient partie de groupes de théâtre amateur) auquel cas l’idée serait brillante…
On pense bien sûr à ces expériences de psycho réalisées dans les universités américaines, celle de Milgram, sur la résistance à l’autorité, où un cobaye devait sanctionner les mauvaises réponses d’un autre par des chocs électriques, toujours plus fort. Mais aussi aux expériences de comportement de groupe et comment le plus grand nombre va influencer l’individu, même sur des consignes absurdes. Ici le public, qui pourrait finalement très bien intervenir, choisit bien docilement de ne pas le faire parce qu’on lui en a donné la consigne. Et pourtant on reste. Pour voir comment ça va finir.