Vivian Maier en Bretagne
Par Isabelle Nivet. Février 2022
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Nous avons sauté dans la Twingo pour une après-midi à Quimper et Pont-Aven. Une après-midi à trottiner derrière une cohorte de journalistes, à la suite d’Anne Morin, commissaire de cette exposition exceptionnelle de Vivian Maier, puisque elle présente des photos jamais vues, des tirages inédits, et se décline sur deux sites, le Musée des Beaux-Arts de Quimper et le Musée de Pont-Aven.
Vivian Maier, le Musée du Luxembourg lui a consacré une très belle rétrospective entre septembre 2021 et Janvier 2022. Une vie de photographe et une incroyable aventure, celle de son fonds photographique (Pour mémoire, le fonds Robert Doisneau est constitué de 450000 photos, celui de Vivian Maier de 150000 photos, ce qui est énorme pour une photographe « amateure »).
Vivian Maier est née en 1926, et meurt en 2009. A New-York. Pendant quarante ans, elle sera gouvernante d’enfants. Et photographe. Pour son plaisir, juste pour son plaisir, puisque personne ne verra ses images de son vivant, et qu’à la fin de sa vie, elle ne tirera même plus ses photos sur papier. En 2007, deux ans avant sa mort, dans des conditions de grand dénuement, le garde-meubles dans lequel elle entrepose ses archives lui coûte trop cher, et c’est un de ses voisins, John Maloof, qui récupère la plus grande partie des 300 cartons dans lesquels dorment ses photos, qu’il essaye de vendre sans succès 5 $ pièce. (Aujourd’hui, il faudrait rajouter trois zéros). A l’opposé exact d’une Diane Arbus, fille de la haute-société, Vivian Maier, modeste inconnue, n’a rien à lui envier, mais ses clichés ne seront jamais vendus de son vivant.
Scènes de rue, portraits, c’est dans la relation à l’autre que s’inscrit le travail de Maier. Plus proche de Doisneau que de Cartier-Bresson, elle partage avec ce premier une grande intuition. Et Maier est rapide, très rapide. Elle sent, elle comprend ce qui va se passer dans la seconde à venir et elle est prête à déclencher. En une photo, elle crée une micro-narration, elle raconte une histoire, on est au cinéma. « Un cinéma à la Bresson », rajoute Anne Morin. Comme Doisneau, Maier produit des images à la fois sensibles et documentaires, qui racontent les classes et les strates de la société. Avec un petit plus par rapport à Doisneau, la proximité. Maier est dans l’altérité, la rencontre : elle photographie de très près les visages, les corps, qui se donnent dans leur naturel et leur singularité : « où l’autre se présente, mais ne se représente pas ».
Elle entre dans leur sphère privée, elle parle à l’autre, elle parle de l’autre et d’elle-même, et ses photos reflètent en creux l’image de Vivian en train de les photographier : les identités s’échangent, l’être à soi, l’être au monde, se lit dans ses images, elle parle de l’autre mais aussi d’elle, parce qu’elle fait partie de ce monde qu’elle photographie.
En arrivant dans la salle consacrée aux photos d’enfants, Anne Morin, commissaire de l’exposition, a parlé « d’identités interchangeables » dans le jeu des enfants, faisant un parallèle avec le processus traversé par Vivian. Nous avons voulu en savoir plus, voici ce qu’elle en dit : « Quand Vivian Maier confie son appareil à un enfant pour qu’il la photographie, C’EST un autoportrait. Comme dans les jeux d’enfance où l’on prête son identité : elle devient eux et ils deviennent elle ».
Rien à voir, donc, avec des photos prises à la sauvette. Vivian va au contact (avec son Rolleiflex, appareil qui implique une proximité inférieure à 2 mètres), elle entre en conversation, spontanément, elle entre dans la sphère privée avec respect. Et ses images disent cela : des regards vrais, des présences fortes et justes.
Comme Arbus, Maier magnifie la ville dans sa banalité, trouve le sublime dans le quotidien, avec une grande intelligence et un don pour la composition : elle peut tout faire, elle sait tout faire. Jusqu’à dépouiller ses images, les resserrer, les refermer et ne garder que des détails, des gestes, des lignes ou des formes, vers l’abstraction. Et jouer. Pour nous, fans de Diane Arbus, Vivian Maier est une révélation : ses photos, moins sophistiquées, moins typées, moins accrocheuses, ont une grande humilité, elles mixent l’esthétique, le documentaire, la fiction, l’intime, l’instant et le sens. Et, surtout, à travers ce processus d’échange des identités qui nous intéresse tant, objectivent la rencontre avec l’autre. Un grand moment d’émotion.
Les expositions (Jusqu’au 29 mai 2022)
Scénographie léchée, élégante, couleurs denses, cartels en blanc sur fond coloré, les deux expositions sont belles en elles-mêmes et leur contenu se complètent pour créer un portrait multiple de Vivian Maier.
A Quimper, Musée des Beaux-Arts
« New-York – Chicago »
Six chapitres : scènes de rue, formalisme, enfance, portraits, couleurs et films super 8.
> Tous les jours de 9h30 à 12h et de 14h à 17h30 (sauf mardi et dimanche matin)
A Pont-Aven, Musée de Pont-Aven
« E(s)t son double »
Autoportraits, jeux d’ombres et de miroirs.
> Tous les jours de 10h à 18h (sauf lundi)
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